
En créole antillais, le Potomitan désigne le “pilier central”, la colonne sur laquelle repose toute une structure. En Guadeloupe et en Martinique, le terme se réfère également aux femmes, ou plutôt aux mères, qui jouent un rôle fondamental dans la famille et la société. Mais si le concept confère une certaine forme de pouvoir aux Antillaises, il est aussi synonyme de souffrance.
La sculpture se dresse au milieu de la cour du Mémorial ACTe, à Pointe-à-Pitre. D’une belle couleur cuivrée, elle prend toute la place. Elle est imposante. “C’est l’origine des racines et le pilier central du peuple guadeloupéen”, indique le centre consacré au souvenir de la traite négrière et de l’esclavage, en Guadeloupe. Cette sculpture s’appelle le Potomitan, qui signifie “pilier central” en créole. Un hommage aux esclaves qui se sont battus pour mettre fin à la traite. Mais cette sculpture a aussi un écho dans la structure familiale guadeloupéenne et martiniquaise. Ce Potomitan, c’est la manman (la mère).
L’écrivain originaire de la Martinique Patrick Chamoiseau évoquait dans le podcast #MaParole le rôle central que jouait sa mère, Man Ninotte, dans le foyer, lorsqu’il était petit. “Il a fallu que je me mette à écrire (…) pour m’apercevoir que ma mère était au cœur de mon existence”, racontait-il au micro d’Outre-mer La 1ère.
Dans les cultures antillaises, on a des structures familiales qui sont matrifocales, c’est-à-dire centrée autour de la mère. Ça vient de la plantation esclavagiste, où le père n’avait pas de place, parce que le père symbolique, c’était le maître esclavagiste. Ce qui fait que, l’esclave qui était père n’était ni propriétaire de ses enfants, ni même inscrit dans la cellule familiale.
À première vue, le Potomitan peut sembler être une consécration pour les femmes antillaises. “Ce terme est utilisé pour souligner à quel point les femmes sont investies”, explique Stéphanie Mulot, anthropologue guadeloupéenne au Laboratoire caribéen de sciences sociales de l’Université des Antilles. Les femmes sont écoutées, les femmes décident, les femmes sont en charge. De là à parler de matriarcat, il n’y a qu’un pas.
Les femmes n’ont pas le choix, en fait. Elles sont obligées de s’investir dans la vie de famille, souvent en l’absence des hommes. Ou parfois, même quand l’homme est là, elles occupent toutes les fonctions domestiques”, décrit l’anthropologue.
Elles ont une charge éducative, une charge mentale, une charge économique qu’elles gèrent seules, parce que les hommes soit ne prennent pas leur place, soit sont ailleurs, soit disent qu’ils sont empêchés de le faire par ce Potomitan qui estime savoir mieux qu’eux.
Dans les Antilles françaises, la monoparentalité est trois fois plus importante que dans l’Hexagone. En Guadeloupe, par exemple, près de 60 % des enfants vivent avec un seul de leurs parents, et c’est en général leur mère, qui portent le fardeau.
Mais contrairement à d’autres territoires d’Outre-mer, où les femmes peinent à faire entendre leurs voix malgré des évolutions qui vont dans le bon sens, comme à Mayotte ou en Polynésie, les femmes antillaises ont réussi à s’emparer de ce Potomitan pour le transformer en instrument politique. En Martinique et en Guadeloupe, nombreuses sont celles qui ont enchaîné les positions de pouvoir, que ce soit aux conseils généraux, régionaux, à la députation ou aux postes de sénatrices : Marie-Luce Penchard, Lucette Michaux-Chevry, Josette Borel-Lincertin.
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